vendredi 29 mars 2013

LE DEMON DU MONTAGE



Le montage consiste à faire croire qu’un animateur, un journaliste ou un homme politique s’exprime impeccablement. Toutes les langues qui fourchent, les mots écorchés, les hésitations sont coupés à l'aide, à cette époque, d'une paire de ciseaux.

Tout d’abord un rapide cour théorique sur le montage :

La bande magnétique professionnelle est enroulée autour d’un noyau en fer, sans flasques plastiques pour la maintenir, comme on en trouve pour les bobines de magnétophones amateurs. La bande tient grâce à la tension avec laquelle elle a été enroulée. On la pose sur un magnétophone pourvu de deux plateaux bien plats, l’aidant ainsi à se dérouler et s’enrouler, d’un plateau à l’autre, en restant bien en ligne pour se superposer sur elle-même.




La tête de lecture est apparente et sans carénage. Elle permet ainsi en voyant la bande défiler, de suivre le morceau sur lequel est enregistré le mot, ou la syllabe que l’on veut retirer. Il suffit de stopper la machine, et manuellement de revenir légèrement en arrière en faisant passer le début du mot devant la tête de lecture. Là on fait un petit signe au stylo sur la bande, ou on la pré-découpe, ensuite on avance jusqu’à la fin du mot. On coupe les deux morceaux repérés et on raccorde les deux morceaux restant sur les plateaux avec un bout de scotch.
Il ne faut pas oublier de laisser parfois respirer celui qui s’exprime sous nos ciseaux. Il m’arrive, même maintenant, d’entendre des pubs mal montées. Je pense notamment à une particulièrement. Elle concerne les réparateurs de pare-brises. Le chef d’atelier témoigne à propos d’une réparation qui aurait pu être évitée si le client était venu dès le premier petit impact.
Ils ont collés ses phrases bout à bout. Ce pauvre chef ne respire jamais. On dirait Jacques Mayol.

Le montage, c’est un peu comme le truquage en photo. On peut faire dire ce que l’on veut à la personne que l’on a entre ses doigts et c’est la raison pour laquelle ces témoignages enregistrés ne sont pas recevables auprès des tribunaux.

Durant ma jeune carrière, j’ai eu un nombre très important de montages à effectuer, avec ou sans le contrôle d’un réalisateur.
Mes ciseaux ont taillé des sujets aussi variés que : la sexualité avec Ménie Grégoire, le mariage de Sheila, la vie de Jésus racontée par Michel kerbourg, ou un concert de Line Renaud à la fête de l’Humanité.

Pierre Laforêt qui est un réalisateur intellectuel, ne connaît et ne veut surtout pas connaître quoi que ce soit ayant trait à la technique. Aussi, pour l’assister dans la  réalisation d’une série de faces à faces menés par le journaliste Paul Giannoli, on fait appel  à mes services. Je dois effectuer les montages sous sa responsabilité. Chaque jour je dois réduire sept cent trente mètres de bande, soit une heure et demie d’enregistrement à cinquante quatre minutes.
Ainsi passent par mes ciseaux meurtriers, entre autres,  le Professeur Mathé contre le Professeur Hamburger (le père de Michel Berger), Jean-Pierre Melville contre Henri Verneuil.
Ce jour-là, je dois « opérer» le débat qui oppose Me Naud et Me Tixier-Vignancourt :  « Pour ou contre la peine de mort »

Je sors la bande  de son carton d’emballage et là, le noyau central en fer me tombe entre les pieds. Mais la bande, elle, est toujours entre mes mains. Vous me suivez ?
Donc dans la seconde suivante, à la vitesse de la lumière, elle se déroule entièrement, comme lorsque l’on tire sur un tricot. Cela s’appelle une perruque. Et croyez-moi, elle est nettement moins drôle que celle d’Harpo Marx. La bande n’avait pas été assez tendue au rembobinage. 



Pierre Laforêt est dans tous ses états.

L’émission est programmée pour le lendemain, elle doit être diffusée. Quitte à y passer la nuit, je dois démêler cette bande, centimètre par centimètre et le ré-enrouler autour du noyau.
La sonnerie du téléphone sonne le glas.
Pierre répond :
- Ne quittez pas je vous passe le responsable du montage.

Et il bouche le combiné de sa main et me dit l’air goguenard « c’est  Me Tixier–Vignancourt pour vous ».

Moi –  Allô oui, Bonjour Maître !

D’une main je tiens le téléphone et de l’autre l’extrémité de la bande magnétique que j’ai jetée par la fenêtre de notre deuxième étage pour la tendre.
Mr Tixier-Vignancourt – « J’aimerais que vous ne coupiez pas trop dans le passage où je parle de ….
C’est simplement surréaliste !



**
*




Pourtant Pierre n’est pas rancunier puisque quelque temps plus tard, il fait appel à moi pour assurer, sous sa responsabilité, le montage d’une série dont il est l’auteur : « Les couples célèbres »,  interviewés par Danièle Delorme. 
Le travail est exactement le même, réduire de moitié deux heures d’enregistrement.

Un jour,  Pierre devant aller en province pour la journée me laisse seul monter la bande « Sheila et Ringo». 



Il me donne un dernier conseil avant son départ : «Coupez selon l’intérêt».

Je commence mon travail d’élagage par les mauvaises herbes, c’est à dire que je me concentre uniquement sur la forme. J’enlève les blancs, les hésitations, les plantages etc. Je fais propre. Ensuite je remets la bande à zéro et je réécoute le contenu, donc le fond.
J’enlève les redites. Je coupe certains passages qui, à mon humble avis, n’apportent rien. Je redonne du rythme à l’ensemble.
Voilà. Ce n’est pas génial, mais ça me paraît tenir debout. C’est un peu comme un peintre qui recule après chaque coup de pinceau.
Je remets la bande une dernière fois depuis le début et je la chronomètre.
Durée totale finale, après montage : dix huit minutes !
Pierre me téléphone pour savoir où j’en suis.
Je lui annonce fièrement  mon résultat, il est fou de colère !
PL –  Mais qu’est-ce que vous avez fabriqué ?
Moi – Bah j’ai enlevé ce qui me semblait sans intérêt, comme vous me l’aviez conseillé !
Moi – Mais vous êtes fou ! Comment va-t-on  faire une heure d’émission avec dix huit minutes !  Je ne le crois pas ! Je suis en train de rêver !
Et il me raccroche au nez.

Sentant la tempête, je préfère prévenir que guérir et je descends immédiatement dans le bureau de Roger Kreicher (directeur des programmes) avant que Pierre ne l’appelle.Je lui expose la situation, et je lui précise bien que j’ai coupé selon l’intérêt. Il sourit.
Le lendemain,  je rentre dans le bureau de Pierre. Celui-ci se plaint de s’être fait passer un savon par Kreicher pour m’avoir laissé tout seul faire le montage. Et il ajoute :
-         Serrons-nous la main puisque nous ne travaillerons plus jamais ensemble.


samedi 23 mars 2013

A bientôt mon Ceïko

Je n'ai jamais voulu de chien.
Je ne voulais pas m'attacher à un être qui vivrait théoriquement moins longtemps que moi et me créerait beaucoup de chagrin lors de sa disparition.
(J'ai un coeur d'artichaut). Surtout qu'on a vécu très bien sans lui avant, alors pourquoi aller au devant des problèmes. Même si ma fille me dit qu'il nous procure pas mal de joie pendant qu'il fait un petit bout de route avec nous.
Bref, j'ai un chien !

Un cadeau d'aménagement de la part d'un petit copain de cette dernière, lorsqu'ils se sont installés ensemble. Car lorsque quelques mois plus tard, après avoir rompu, elle est revenue s'installer à la maison, elle nous a ramené Ceïko, son petit boxer bringé. 

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Pendant un an, il a joui d'une liberté totale, arpentant tout le rez-de-chaussée de notre maison et sortant dans le jardin à sa guise. De plus, travaillant chez moi, dans mon living, il a élu domicile sous mon bureau et nous avons vécu à un mètre d'intervalle quotidiennement et pendant de nombreuses heures. Ca crée des liens ! Aussi, lorsque Laurence a décidé d'habiter seule, je n'imaginais pas Ceïko enfermé toute la journée dans un petit appartement, à attendre que sa maitresse rentre du boulot. Et c'est dans son intérêt que j'ai insisté pour le garder. Ainsi nous croisons nos regards toute la journée depuis plus de 4 ans.
Pour l'instant il va très bien. Mais je pense continuellement au moment où chaque coin de la pièce me rappellera son court passage parmi nous.
Du coup, j'ai voulu exprimer tous ces sentiments dans une chanson qui ne touchera que ceux qui ont ou ont eu un chien, et bien sûr qui sont anormalement sentimentaux comme moi.
Les autres, vous êtes priés de ne pas vous moquer.



samedi 16 mars 2013

LES ROLLING STONES A BRUXELLES





En 1973, Keith Richard, le guitariste des Rolling Stones est interdit de séjour en France pendant deux ans, pour avoir été arrêté en possession de substances illicites.
Le groupe doit alors remplacer son concert prévu à Paris par un concert à Bruxelles.


RTL affrète un train spécial pour y emmener les fans Français.
Je travaille sur une émission quotidienne présentée par Sam Bernett : «Super club RTL». Les auditeurs désireux d’en devenir membres n‘ont qu’à adresser leur demande sur carte postale. Ils reçoivent alors une super carte plastifiée, dans le style carte bancaire. Elle leur donne droit, entre autres, à des réductions pour certains concerts.
On m’envoie avec deux membres du Club assister à l’évènement, avec la mission de rapporter leurs émotions cueillies sur le vif.
Le voyage en train se déroule sans problème.
Une fois qu’on est arrivé sur place, un car nous emporte vers le « Forest National ».
On s’installe. La lumière s’éteint. Je déclenche le Nagra et là, c’est le délire !
Un hurlement continu de foule sur un tonnerre de guitares saturées. Pas moyen d’enregistrer autre chose que du bruit d’ambiance.
Tant pis, j ‘enregistrerai les gars à la sortie et on mixera leurs commentaires sur le son que je suis en train d‘immortaliser.
Après le spectacle, constatant que nous disposions encore d’un peu de temps avant le départ du train, j’invite mes protégés au restaurant, aux frais de la Princesse.
Nous nous attablons chez un chinois.
Exactement entre la poire et le dessert, je pose le Nagra sur la table et je leur dis :

- Maintenant vous allez fermer les yeux et vous allez me décrire ce que vous avez vu comme si cela se déroulait maintenant.

Super, tout est en boite. On a même le temps de prendre un café.

Le lendemain je rentre dans le studio et je tends mon bobino à Jean-Claude Mérien le réalisateur.
Il l’installe sur le magnéto et envoie le reportage dans les grosses enceintes.
La première partie est effectivement inutilisable seule.
Au moment où commence le récit de mes deux reporters amateurs, Jean Claude et moi nous nous regardons, tout deux pétrifiés.
La description imagée qu’ils font de ce concert de Rock mythique est accompagnée, du fond musical asiatique diffusée par le haut -parleur du restaurant !

Ce jour là, Jean Claude a prouvé qu’il est, en plus d’un réalisateur de talent, un extraordinaire magicien. Il est parvenu à remixer l’ensemble sans qu’on ne s’aperçoive de rien !

vendredi 8 mars 2013

AGNES LA MAGNIFIQUE



Un jour, une de mes filles qui travaille alors chez Décathlon, me demande si  j’accepterais de rencontrer une de ses collègues et néanmoins amie, qui écrit des chansons à ses heures perdues et qui aimerait bien les mettre en forme.
Je lui réponds pourquoi pas et c’est ainsi que je fais la connaissance d’Agnès «la Magnifique».
Agnès est magnifique pour plusieurs raisons, et j’éviterai de sombrer dans la facilité en évoquant son physique.

La première raison concerne ses talents artistiques multiples.
Lorsque nous nous voyions pour la première fois, Agnès vient de se découvrir l’envie de chanter. Elle veut faire ça bien. Elle investit un peu d’argent dans des cours de chant et dans l’acquisition d’un "Mac" sur lequel elle s’enregistre.
Mais elle complète rapidement l’enregistrement de ses vocalises par des chansons qu’elle commence à écrire (paroles et musiques).
Madame a la fibre créative. C’est donc ce catalogue très hétéroclite qu’elle vient me faire écouter. 


D’emblée, je constate que c’est une personne singulière.
Ses textes sont originaux et plein d’humour.

Qu’elle plaise ou non, sa voix ne peut laisser indifférent.
Elle a, comme on dit maintenant, une véritable signature vocale. Elle sort vraiment du formatage qui caractérise la plupart des chanteuses actuelles.
Bref, c’est une personnalité.

Tel GIGN,  Agnès préfère apparaitre visage masqué,
Messieurs, redoublez de vigilance

La deuxième raison qui mérite l’adjectif « magnifique », fait référence au film de Philippe De Broca : « Le Magnifique », où Belmondo incarnait un modeste écrivain qui n’hésitait pas à se venger des gens qui lui pourrissaient sa vie quotidienne en les incorporant à son récit et en les mettant dans des situations périlleuses. Et bien Messieurs, méfiez-vous d’Agnès la Magnifique, qui n’hésite pas vous consacrer une chanson pour sanctionner votre comportement à son égard.
N’est-ce pas Adrien ?





J’ai travaillé sur deux de ses chansons.
Je vous propose 4 titres, soit ces deux chansons dans leur version originelle, puis dans la version que j’ai arrangée pour elle.
‘Tayo tayo bye bye’  n’est qu’une orchestration à partir de sa maquette sur laquelle elle chantait accompagnée par un copain à la Guitare. C’est un rock à 3 accords (Pléonasme).
‘Adrien‘, en revanche, a été plus compliqué car elle m’a proposé une version a capela  dans laquelle la mélodie était fluctuante, sans véritable rythme ni harmonie (harmonie au sens musical du terme : accords). Là j’ai dû tout imaginer.




Pour conclure, j'évoquais les talents artistiques d'Agnès. En voici une nouvelle preuve.
je l’ai connu provisoirement vendeuse et chanteuse, mais qui cherchait sa voie (voix). Puis elle a décidé brusquement d’arrêter tout ça pour prendre des cours de photographie et est devenue maintenant une grande photographe.
Comme quoi un talent peut en cacher un autre, mais quelque soit la discipline dans laquelle on s’exprime qui n’est que le médium de la créativité.

vendredi 1 mars 2013

LE JOUR OU J'AI ENREGISTRE CLOCLO



Gaston, c’est un des piliers de la station. Il y travaille depuis si longtemps qu‘il serait indécent de lui demander en quelle année il y est entré. C’est un personnage ! Physiquement, il ressemble un peu à Raymond Devos.
Il règne sans partage sur une caverne d’Ali Baba qui occupe le sous-sol du bâtiment : le magasin. Je le surnomme « Le Père Noël». C’est chez lui que sont stockés les studios en pièces détachées, les Nagras, les bandes magnétiques, les micros, bref tout ce qui est nécessaire pour faire de la radio. Finalement, le mot magasin me semble bien résumer son magasin.
C’est une forte tête, un fort en gueule mais c’est aussi un garçon charmant (Quand on le connaît). Il vaut mieux être dans ses bons papiers car on a souvent besoin de lui.
Bien que l’endroit semble bien achalandé, à chaque fois que quelqu’un lui demande quelque chose, il répond invariablement :  «Y’en n’a plus ! ». Et ça depuis toujours !
La première année que j’ai eu à le côtoyer régulièrement a été assez fatigante pour moi. J’avais les cheveux longs, comme tous les jeunes de ma génération, et une fois qu’il m’avait enfin donné ce que j’étais venu chercher, après avoir patiemment attendu qu’il trouve ce que soit-disant, «y'en avait plus », il me coursait dans son magasin, une paire de ciseaux à la main pour me couper les cheveux.
Ah !  sacré Gaston !
Un jour j’ai un rendez-vous très important avec Claude François. Cela fait déjà un bout de temps qu’on essaye de se mettre d’accord sur une date car son emploi du temps est très chargé.
Je descends voir Gaston et lui demande un Nagra.
Gaston – Y’en n’a plus !
Moi – Allez Gaston, sois sérieux, je suis hyper pressé ! »
Lui – Je te dis qu’y en a plus ! Y sont tous partis en reportage !
Moi – Et ça qu’est ce que c’est ?
Lui – Celui-là il peut pas sortir d’ici, il n’a pas encore été dédouané.
Moi – Allez Gaston, sois sympa, j’ai rendez-vous avec Clo Clo, je te le ramène dans deux heures.
Lui – Bon, OK, dans deux heures.

Et me voilà quelque instants plus tard dans le bureau de Claude, boulevard Exelmans. Je fais un super reportage. Je parviens à l’ accoucher de confidences rarissimes. Il m’avoue qu’il n’aime pas tellement ce qu’il chante et qu’il préfèrerait  chanter du Brel !!


Deux heures plus tard, content de mon boulot, je rapporte comme prévu le Nagra à Gaston.

Moi – Tu vois mon vieux, j’ai tenu parole. Des gens comme moi « y’en n’a plus ! »
Lui – C’est ça, c’est ça !

Puis je rentre chez moi. Il est, à peu près, dix neuf heures.
Soudain, effroi, je réalise que j’ai laissé la bande sur le Nagra !
J’appelle immédiatement Gaston, en priant pour qu’il soit encore là.

Gaston – Y’en n’a plus – Le Nagra il est reparti, et j’ai bien vu la bande dessus, mais j’ai cru que t’en avais pas besoin.
Moi – Merde ! C’est pas possible !
Gaston – ça mon vieux, c’est ton problème !

Je vous laisse imaginer la soirée et la nuit que j’ai passées.
Le lendemain, je cours le voir au Magasin, histoire de lui pleurer dans le gilet.
Ma bande était sur son bureau.
Sacré Gaston !