Pierre Laforêt ne s’entend pas avec Michel Drucker et préfère quitter l’émission.
Je suis en décalage total sur la politique rédactionnelle
adoptée par son remplaçant. L’ancienne équipe est, petit à petit, désagrégée.
Les ex-membres de l’équipe sont remplacés progressivement par ses petits
protégés. Je suis malheureux dans cette ambiance et je préfère moi aussi
quitter l’émission.
C’est dommage car j’ai appris qu’ils ont viré ce type six
mois plus tard.
Toutes les émissions ont leur équipe au grand complet et
aucune quotidienne n'a besoin d’un assistant. Bref, rien en vue pour moi pour
le moment !
Je ne suis pas en CDI. Je suis pigiste et payé à la mission,
donc au bord de la porte !
|
RTL 1972 - photo Francis Gravez |
Mais je ne suis pas cher, polyvalent, plein d’idées et Roger
Kreicher (Directeur des Programmes) m’aime bien. Aussi, essaye-t-il de me trouver
quelque chose pour me garder. En attendant, me voilà passant deux mois payé à
errer dans les couloirs à la recherche, moi aussi, d’une idée qui me sauverait.
Je suis pris entre deux feux. Il faut que je me montre pour
que l’on ne m’oublie pas, mais il faut que je me cache, pour que l’on oublie
que je suis payé à ne rien faire.
Je passe pas mal de temps au troisième étage dans le grand
bureau de la programmation musicale. Ils sont quatre et se partagent toutes les
tranches horaires de la journée en fonction leur sensibilité musicale par
rapport à ce que réclame chaque type d’émission.
Ce grand bureau est la cour de récré de la station. Tout
le monde y vient, soit écouter une nouveauté, soit boire un café, soit y jouer
au dictionnaire (les programmateurs sont très joueurs). Parfois même, avec les
attachés de presse des maisons de disques venus faire écouter leur dernière
nouveauté et dans ce cas on pratique les trois activités en même temps.
Sur l’un des murs, trois portes donnent sur trois minuscules
cabines d’écoute servant à un programmateur, lorsqu’il veut s’isoler pour faire faire
une recherche spécifique.
Elles ressemblent à trois placards.
Ce jour-là avec un copain, le barman de la station, nous
arrivons avec l’intention de faire une rapide partie d’échecs pendant sa
demi-heure de pause. Le travail bruyant des propriétaires des lieux, nous
obligent à rentrer dans l’un de ces «placards» pour pouvoir nous concentrer. On
devrait avoir suffisamment d’air pour survivre une trentaine de minutes. Un
quart d’heure plus tard, débarque Monique Le Marcis, la directrice des
programmes, adjointe de Roger Kreicher. Elle s’assoit autour de la
table et commence à discuter avec les
programmateurs.
Je suis très mal. Si je sors elle va me demander ce que je
fous ici. Donc on fait les morts, peut-être bientôt pour de vrai.
Mais au bout de dix minutes la situation se corse. Mon
copain doit reprendre son service. Je lui dis qu’il est hors de question qu’il
sorte maintenant. D’abord parce que sa présence à la programmation va paraître
bizarre, ensuite comment expliquer qu’il se soit isolé dans cette cabine ?
Pourquoi en sort–il subitement au bout d’une demi-heure, comme un fantôme, sans
qu’il y ait eu le moindre bruit issu de la cabine ? Et si en plus on nous
surprend tous les deux !!
Il fait de plus en plus chaud, ça devient
intenable. Mon copain risque sa place et est obligé de partir. Je le supplie
d’attendre encore un peu, mais il ne peut pas.
Il attrape un disque posé à côté de la platine et entrouvre doucement la
porte, derrière laquelle j’essaye de me cacher.
Il sort de la cabine, repose le disque sur le bureau d’un
programmateur en le remerciant, et quitte le bureau dans un silence de mort.
Je sens immédiatement la crise de fou rire monter, et elle
risque d’être mortelle si je ne parviens pas à l’étouffer. Je me mords les
lèvres. Heureusement, un programmateur envoie une chanson sur laquelle ils
reprennent leur débat. Je suis condamné à rester toute la journée dans ce
placard, car plus aucune explication ne serait crédible.
A présent, voilà que j’ai subitement envie de pisser. Ca
devient très compliqué. N’en pouvant
plus, j’ai l’idée lumineuse de me soulager dans une bouteille d’eau minérale au
trois quart pleine. Comment vais-je ne la faire déborder tellement mon envie semble importante ? Je ne peux plus réfléchir ! Tant pis, je me pose même plus de question, je me soulage.
J’arrive à me contrôler et m’arrête avant la limite.
Je crève de
chaud et la réunion n’en finit pas.
Soudain c’est la panique. J’entends Bernard Schu, l’animateur des Nocturnes de
RTL, entrer dans la programmation. Il anime principalement ses émissions depuis
les studios que RTL possède toujours au Luxembourg. Il vient rarement à Paris et,
n’ayant pas de bureau rue Bayard, il écoute parfois les disques que les
attachées de presse lui envoie quand il est en France, dans cette cabine. Dans
deux secondes c’est le drame.
Imaginez la scène :
- Bah! qu’est ce que tu fous là toi ?
Et Monique Le Marcis se posant la même question, et réalisant que
cela fait maintenant deux heures et demi qu’elle est arrivée !
Enfin la réunion se termine et Monique quitte les lieux. Je
ressors tout rouge du placard, ma bouteille à la main. Un programmateur qui
m’avait oublié, fait un bon d’un mètre au-dessus de sa chaise en me voyant
subitement réapparaître
J’apprends que c’est grâce aux signes incompréhensibles que
lui faisait un autre programmateur, que Bernard Schu n’est pas entré dans la
cabine. Merci les gars.
Quelques jours plus tard Roger Kreicher me convoque pour me dire qu’il ne peut plus me
payer et qu’il n’a, pour l’instant, rien à me proposer. Il me promet de me rappeler début juillet
pour une opération « Jeux de plages » Je le remercie pour sa
proposition, pour tout ce qu’il m’a
permis d’apprendre et surtout pour m’avoir donner la chance d’exercer un petit
moment, le métier dont j’avais toujours rêvé.
Je lui dis que je ne suis pas intéressé par ses jeux de
plage et que je ne veux pas recommencer en septembre un travail d’assistant.
Je
pense que le moment de faire mon bilan est arrivé. Cela fait quatre ans que j’exerce le boulot
d’assistant réalisateur et soit il estime que je ne suis toujours pas capable
de faire plus et dans ce cas il vaut mieux que j’arrête tout de suite ce
métier, soit que les toutes places sont occupées par des quadragénaires encore
loin de la retraite et par conséquent,
il n’y a pas d’ouverture pour moi. Dans ce cas je garde confiance, mais je vais
chercher ailleurs.
Il me classe dans le deuxième cas.
Nous nous quittons en bon terme.
Quelques semaines plus tard, je deviendrai réalisateur à Europe 1.
Mais je vous en parlerai plus tard ...