dimanche 18 novembre 2012

Le président Rosko

Ma première vocation  : Devenir Disc-jockey à la radio !






A chaque rentrée scolaire, lorsqu'on remplissait les fiches pour les professeurs, à question : profession souhaitée,  je mettais : Animateur de radio, là où tous les autres élèves mettaient Pompier, Médecins, Agents secrets etc. 

J'ai été un très mauvais élève. Normal, car j'étais physiquement tous les jours en classe, mais mentalement j'étais très loin ... Toujours perdu dans mes pensées.

Toutes les après-midi je préparais le programme de mon émission de radio quotidienne, que j'animais toutes les fins d'après midi, à partir de 17 heures, dans ma chambre ... au lieu de faire mes devoirs. 

Deux choses me minaient considérablement le moral.
La première était qu'aucun animateur de radio de l'époque n'est arrivé par vocation. Tous le sont devenu par défaut. Souvent d'anciens journalistes, des chansonniers ou encore des comédiens ratés. José Artur en est une bonne illustration.
La deuxième chose m'était martelée par Jean Bardin, un ami intime de mes parents, grand manitou de la radio et de la télé de cette époque. Un peu père spirituel de Michel Drucker et Jean-Pierre Foucault. Il me répétait qu'avant de penser à la radio, il fallait d'abord que je réussisse mes études. Lui même était licencié en droit, et il m'affirmait qu'on ne donnerait jamais le micro à un analphabète.
Or, préparer des émissions de radio en classe n’est pas sans conséquence. J'ai fréquenté  six établissements en six ans d’études secondaires, dont deux écoles en deux trimestres la dernière année ! C’était vraiment mal barré.

Pourtant à 16 ans, j'arrête officiellement mes études (certains pensaient que j'en faisais ... ) et je rentre à RTL comme animateur de radio !


Mais je vous raconterai cette histoire plus tard.

Tout d'abord un peu d'histoire,
voire de préhistoire

Depuis le début des années 60, Europe N°1 (comme on disait en ce temps-là) règne sans partage, sur la jeune génération, grâce à son émission culte « Salut les Copains» . En 1966, Jean Farran prend la direction générale de Radio Luxembourg, et transforme la station en  R.T.L. Le lifting est total et les changements vont bien au-delà de celui du sigle.
Pour concurrencer S.L.C., il engage un jeune américain : Mike Pasternak. Ce disc-jockey est célèbrissime en Angleterre où il officie depuis un bateau qui navigue hors des eaux territoriales. C’est tout simplement la fameuse radio pirate «Radio Caroline».
Et ce D.J. est plus connu sous le pseudonyme de "The Emperor Rosko".
En France il devient le Président Rosko.

Un jour, en fin d’après-midi alors que j’écoute la radio en faisant mes devoirs, je tombe par hasard sur son émission. 

« Incassable bou !
Comment allez vous ?
C’est Mini Max, Minimum de bla bla, Maximum de Miouzik,
une heure de grande joie avec votre rayon de soleil,
Le plus beau,
Celui qui marche sur l’eau,
Dans son studio,
Le Président Rosko  ….»

Une véritable déferlante.
C’est  MON 1789.
Ce type, non seulement révolutionne la radio, mais toute ma vie.
Le ton est novateur.
Et quelle  musique ! Quel rythme !
A peine une chanson était sur le point de se terminer en mourant lentement dans un shunt interminable, qu’il balance plein pot l’intro du disque suivant, rappant avant l’heure, en rythme sur les intros jusqu'au moment où « attaque» le chanteur.

Il est le premier en France à utiliser des « jingles». Vous n’y prêtez plus attention, mais lorsque vous entendez une petite musique suivie du nom de la station chantée par des chœurs, vous entendez un jingle.
Il en utilise près de trois cents différents.
« C’est un marrant, le Président Rosko, Radio Luxembourg, 1293 mètres ….. »
C’est vrai qu’on panachait encore RTL et Radio Luxembourg.

A titre d'exemple voici quelques uns de ces fameux jingles  (j'ai récupéré toute la collec pendant mes années à RTL, auprès de techniciens qui l'avaient côtoyé et en avait fait secrètement des copies)





Un jour, une amie de mes parents, apprenant que j’étais scotché à mon transistor tous les jours entre 16h30 et 18h sur Radio Luxembourg, propose de me faire une surprise. Elle ne sait pas qu’elle va bouleverser ma vie. Elle m’emmène assister à l’émission de radio de son pote Mike. Le président Rosko himself !!!

RTL est déjà au 22 rue Bayard, mais sans la façade de Vazarelli.  C’est un hôtel particulier dans un immeuble ancien de trois étages.  Le rez-de-chaussée est surélevé, et la première fenêtre à droite de l’entrée est celle de son fameux studio.

Là encore il innove. Il est le premier disc-jockey radiophonique en France.
Cela signifie qu’il est seul dans son studio.
Il est animateur, réalisateur et technicien.

Avant lui, un studio de radio c’est un animateur enfermé dans une pièce insonorisée. Au-dessus de sa tête pend un micro. Face à lui,  un mur percé d’une vitre, style aquarium, derrière laquelle il perçoit quatre poissons :
Le réalisateur, avec lequel il communique par un interphone pendant la diffusion des disques,
Un preneur de son.
Un poseur de disques sur les platines, chargé également de les faire tourner dès le signe du réalisateur.
Et un poseur de bandes magnétiques occupant les mêmes fonctions que son collègue aux platines.
Je vous laisse imaginer les temps de réaction de cette machine à cinq cerveaux.

Lui, il est seul aux commandes du premier studio automatique, qui servira longtemps après son départ aux jeunes animateurs qui lui succèderont, dans des styles différents : Gérard Klein, Jean-Bernard Hébey, Bernard Schu. Et petit à petit, d’autres studios automatiques seront construits et un technico-réalisateur remplacera les quatre techniciens d’antan, en communiquant directement avec l’animateur assis en face de lui, sans vitre.

Autre une nouveauté apportée par le Président Rosko, et qui a été installée après dans tous les studios de radio : le lecteur de cassettes de Jingles. Un jingle par cassette.
C’est l’une des choses qui m’a le plus ébloui dans son studio. Il a au-dessus de sa console, face à lui, deux petites étagères situées à gauche et à droite de son micro, sur lesquelles sont empilés ses trois cents jingles.
Et dans son studio, ça sent une forte odeur de ruban plastique, dégagée par les étiquettes dymo collées sur chaque cassette.

Je suis  resté une heure et demie assis à côté de lui et de son ménate « Alfi » dont la cage est munie d’un micro. Je l’admire jongler avec ses cassettes, ses disques et sa console de mixage entre deux onomatopées. Pour éviter le larsen, lorsque son micro est ouvert les enceintes sont coupées. On n’entend plus alors que sa voix, un peu de musique qui s’échappe de son casque et surtout le talon de sa Santiag qui martèle le tempo sur la moquette. Puis, dès la fermeture du micro, les enceintes re-crachent les décibels à un taux digne d’un concert de U2.

C’est l’un des plus beaux souvenirs de ma vie. J’ai douze ans et je me dit : «C’est ça mon futur métier.  Je veux être ça plus tard .»




A partir de ce moment-là, je m’installe un studio dans ma chambre. Un micro, deux platines et un mini k7, sur lequel j’enregistre pendant des heures les jingles du Président Rosko, à travers ma radio pourrie.
Et tous les soirs je deviens : 
Le plus beau,
Celui qui marche sur l'eau
Le Président Marco.
La coupe de cheveux de Rosko est celle des Beatles sur leur pochette de leur album «Rubber Soul» : au bol, avec la frange et de larges favoris qui descendent sur le long  des joues jusqu’au menton. Je rêve de ce look, mais je n’ai pas les cheveux assez raides et surtout je n’ai pas encore de barbe… Alors en guise de favoris je fais passer mes cheveux de part et d’autre de mes oreilles. Derrière ils ont le rôle de cheveux, devant,  celui de favoris. Mais ça rebique ! C’est une horreur.


PS. Je viens de trouver un lien sur une excellente bio de Rosko : 

 http://www.brunohantson.com/rosko.php?PHPSESSID=b4c25a9671585598d8fde196579ab746

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