Nous sommes en 1972. Georges De Caunes, journaliste, grand reporter
et personnage mythique (pionnier de la télévision) fait son grand retour à RTL.
On crée pour lui « Couplé gagnant », une émission
quotidienne de fin d’après-midi. Chaque jour, durant une heure, il appelle une
dizaine de personnes de la même profession et puis les fait parler un peu de leur métier. Ensuite,
il leur fait choisir une chanson et la leur dédicace.
Evidemment, la profession choisie est différente chaque jour.
Comme Georges De Caunes habite la campagne, il ne vient au
studio qu'une fois par semaine et y enregistre cinq émissions d’un coup. Ce
jour-là je repars avec ces cinq bandes que j’aurai à monter pour qu’elles
soient diffusées au cours de la semaine.
Je prends la première bande, j’isole la première
intervention, que je place sur un noyau 1. Puis je reprends la bande principale
et j’en extrais l’intervention 2 que je place sur une noyau 2 et ainsi de
suite. Soit dix bobinos par émission. Ensuite je réécoute chaque bobino et je
nettoie. J’enlève toutes les hésitations, les bafouillis, les redites. Puis
j’empale les dix bobinos concernant la même profession sur une tige métallique
avec un socle en bois à la base, que l’on appelle : une Bite. J’ai, à la fin de mon travail : cinq bites
pour cinq jours d’émission.
Tous les matins, Pierre Laforêt, le réalisateur,
m’annonce la profession qui sera
diffusée le soir, et je lui remets la
bite correspondante.
Il ne lui reste plus qu’à faire sortir de la discothèque les
chansons demandées par les intervenants.
Le soir, en studio, Georges De Caunes dira « Bonjour
….. » sur le premier bobino. Il interviewera la première personne, lui
fera choisir une chanson et hop, le disque partira. On enlèvera le premier
bobino et on passera au suivant. Et les auditeurs penseront que Georges est en
direct.
Ils le penseront jusqu’au jour où …
Un matin, Pierre Laforêt m’apostrophe :
PL – Vous savez que vous avez fait une grosse erreur
hier ?
Moi – Ah bon ?
PL – Dans le quatrième coup de fil, De Caunes dit au
restaurateur : « Vous travaillez beaucoup ? » et le restaurateur
répond : « Oh oui, énormément, on prépare le 1er
mai »
Moi – Et ?
PL – Et hier, nous étions le 13 !!
Moi – Oh merde !
- Je ne comprends pas – Je suis désolé !
PL – Bon, mon vieux, faites gaffe. Réécoutez vos bandes
avant la diffusion Nom de Dieu.
Moi – Oui, oui, Pierre. Excusez-moi encore.
Le lendemain.
Georges De Caunes - Bonjour Mesdames, bonjour
Messieurs, ce soir nous jouons à couplé gagnant avec nos amis parfumeurs.
Bonjour Madame, ça marche la parfumerie ?
Elle – Oh oui, j’ai justement un Monsieur qui choisit en ce
moment du parfum.
GD – Ah les hommes viennent acheter du parfum ?
Elle – Bah oui, après-demain c’est le 1er mai, et
les gens n’achètent pas que du muguet ….
Je suis donc à nouveau au garde à vous le lendemain matin.
Pierre Laforêt – Vous êtes un fou mon vieux, il faut vous
faire soigner !
Moi – Pierre, je ne comprends rien, j’avais tout réécouté,
comme vous me l‘aviez recommandé !
PL – C’est bien ce que je dis, vous êtes fou, vous n’avez
plus votre tête. Qu’est-ce que je vais
faire de vous ? Je peux vous faire virer pour faute professionnelle !
Moi – Je suis vraiment désolé, je ne sais pas quoi vous
dire.
PL – Bon, c’est la dernière fois. Deux fois de suite, c’est
beaucoup trop !
Trois jours plus tard.
Georges De Caunes – Chers Amis bonsoir, ce soir nous sommes
avec les fleuristes. Je prends le premier. Allô, Bonjour, ça va ?
Le fleuriste – Oh oui, c’est une grosse journée pour nous
car demain c’est le 1er Mai
Le lendemain matin.
Pierre Laforêt est très calme. C’est souvent le cas, juste
avant la dépression nerveuse.
PL – Dites-moi ce que je devrais vous dire.
Moi – Pierre, vous avez raison, ma situation est
indéfendable.
La vérité est que pendant l’écoute de 60 minutes que
duraient ces 10 bobinos, je devais avoir une absence de concentration de 10
secondes, mais fatale.
J’étais dans la lune et j’ai failli être obligé d’y rester
pour y trouver du travail !